dimanche 14 décembre 2008

125. J.R. Caussimon: "LaCommune est en lutte". (1975).

Jean Roger Caussimon est un auteur de très nombreuses chansons, interprétées notamment par Léo Ferré ("monsieur William"). Il n'hésite pas cependant à chanter lui-même ses compositions dans lesquelles il pourfend les conservatismes et les réactionnaires de tout poil. Cette chanson est enregistrée par Jean-Roger Caussimon pour le film de Bertrand Tavernier "Le juge et l'assassin". Elle constitue le final de ce film dont l'action se situe en 1893... Il est pourtant bien ici question de la Commune de Paris.



Pour mieux saisir les origines de la Commune, il convient de revenir à la cuisante défaite de la France face à la Prusse, en 1870. Le Nord et l'Est du territoire sont envahis, l'empereur arrêté, les généraux faits prisonniers... Et si le gouvernement de la Défense nationale entendait, dans un premier temps, continuer à tout prix le combat, il perd bientôt son ardeur.
* Pendant ce temps, Paris est encerclé par les Prussiens et assiégé. Au cours de l'hiver 1870, les Parisiens subissent un siège terrible et souffrent de la faim. Ils se défendent comme ils le peuvent, notamment les gardes nationaux qui touchent une modeste solde, qui permet aux plus pauvres de survivre. Animés par un grand patriotisme (ils ont acheté avec leurs deniers 227 canons entreposés sur les hauteurs de Montmartre), ils souhaitent combattre jusqu'au bout, sans abdiquer. Les loyers ont été suspendus tant que les activités n’ont pas repris.


Charles-Henri Piulle: "Cantine municipale pendant le siège de Paris"(65x81cm, Carnavalet).
Après un siège si rude, la demande d'armistice formulée par le gouvernement provisoire, en février 1871, écœure les Parisiens, d'autant plus humiliés que les Prussiens entrent dans Paris le 1er mars.
Or, les Parisiens qui ont subi le siège ne sont pas tous les Parisiens : ce sont les plus pauvres qui n’ont pas de maison de campagne et ont dû rester à Paris, la plupart des plus riches sont partis avant le siège. Ces Parisiens pauvres, surtout des ouvriers, sont fortement marqués alors par les idées socialistes, notamment celles de Proudhon et de Blanqui. Rapidment les esprits s'échauffent...

Les provocations « versaillaises ».
Bismarck veut négocier la paix non pas avec le gouvernement provisoire de septembre 1870, mais avec un gouvernement légitime désigné par les Français. Des élections sont donc organisées pour élire une Assemblée. La campagne se fait sur l’unique thème de la paix (proposée par les monarchistes, les bonapartistes et la droite en général) ou la guerre (voulue par les Républicains). La victoire revient aux conservateurs, représentant la France rurale et traditionnelle, se méfiant des « rouges », des « classes dangereuses » ouvrières des villes: on compte 400 royalistes, 30 bonapartistes et 150 républicains. Cette Assemblée désigne en son sein un gouvernement, dirigé par Thiers, «chef du pouvoir exécutif de la République française ».
D'emblée, cette majorité favorable à la paix inspire la plus grande méfiance au peuple de Paris qui élit pour sa part des républicains radicaux.

Dès lors, les nouveaux pouvoirs multiplient les provocations contre les Parisiens :
- ils choisissent de s’installer à Versailles, et non à Paris, dont ils redoutent les agitations révolutionnaires ;
- le gouvernement supprime aussitôt la solde des gardes nationaux parisiens (seul revenu de la plupart des familles, que le siège avait privées de leur travail) et le moratoire (=délai) des loyers et des effets de commerce décidé pendant le siège.
- Enfin, il décide de récupérer les canons achetés par les Parisiens et massés sur les hauteurs de Montmartre et de Belleville. Pour Thiers, il convient en effet de désarmer la garde nationale.

Avril-mai 1871. Rue de la Bonne. Pièce d'artillerie qui paraît avoir été placée rue de la Bonne et semble avoir été dirigée vers le nord. 20528-2 © Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

* La Commune de Paris (mars-mai 1871).

Le 18 mars 1871, les insurgés empêchent les soldats envoyés par le gouvernement versaillais de récupérer les canons. Les troupes fraternisent aec les émeutiers et exécutent les généraux Lecomte et Thomas. Le 26 mars, des élections permettent de désigner est un Conseil insurrectionnel de la Commune [sur le modèle de celle l'An II sous la Révolution française, associée dans les mémoires à la Convention et au Comité de Salut public qui avait aboli la monarchie et sauvé la République en 1792], véritable gouvernement de 90 membres, composé des diverses tendances du socialisme français de l’époque. On peut citer, entre autres, le socialiste Eugène Varlin, le blanquiste Edouard Vaillant, l’écrivain Jules Vallès (L‘Insurgé), le peintre Gustave Courbet, des ouvriers…
Refusant toute négociation avec les insurgés, Thiers retire ses troupes de Paris pour préparer une reconquête de la ville insurgée.

Pendant 72 jours, cette Commune gouverne Paris, proclamée "ville libre". Elle met en place quelques mesures sont projetées:
- Proclamation de la journée de 10 heures;
- L'interdiction du travail de nuit pour les femmes et les enfants;
- la Séparation de l’Eglise et de l’Etat, la laïcisation de l’enseignement;
- Création de coopératives ouvrières.
- l'adoption du drapeau rouge, le rétablissement du calendrier révolutionnaire.
Dans les faits, faute de temps et de moyens, ces mesures resteront à l'état de projets.

En tout cas, une intense activité révolutionnaire règne, à laquelle tous participent, notamment les femmes. C’est une fête continuelle, une libération, mais les disputes sont très nombreuses au sein du Conseil et les Versaillais attendent leur heure…

* La répression :

- Le siège de la capitale par l’armée versaillaise dure 6 semaines, pendant lesquelles les bombardements sont intenses.
- Sous les ordres du maréchal Mac Mahon, les 130 000 « versaillais » libérés de façon anticipée par Bismarck à la demande de Thiers (entre conservateurs !), réussissent à pénétrer dans Paris, après deux mois de siège. Face à eux, on a 20 000 à 30 000 « fédérés » (rappel de la Révolution), braves, mais mal encadrés et parmi lesquels on compte peu de soldats de métier. Des exécutions sommaires ont lieu dans les deux camps.
- C’est alors la « semaine sanglante » (21-28 mai) : des combats acharnés ont lieu dans la capitale, dont les principaux lieux de pouvoir sont incendiés par les Communards (palais des Tuileries, Hôtel de Ville). Le Paris ouvrier de l’Est, hérissé de 500 barricades, se défend contre les Versaillais et les derniers combats ont lieu dans le cimetière du Père Lachaise. Les derniers chefs communards y sont fusillés contre le « mur des fédérés ».

- La répression est d’une férocité extrême, à la mesure de la peur des conservateurs et des possédants : c’est l’épilogue d’une guerre non pas civile, mais sociale (= exemple pris par K. Marx pour illustrer la lutte des classes). On ne connaît pas le bilan exact, mais c’est une immense boucherie: sans doute environ 20 000 morts dans les combats (dont 3500 fusillés), 38 000 arrêtés dont plus de 10 000 condamnés, 8000 déportés (Algérie, Guyane, Nouvelle Calédonie).
Les conséquences de la répression.


Cadavres de Communards.

- Le mouvement ouvrier et socialiste est décapité pour une génération. Les premiers grands troubles sociaux ne se produiront qu’après 1900.
- L’extrême gauche s’éloigne pour longtemps de la République, qui, comme en juin 1848, se coupe de ses racines populaires.
- Paradoxalement, la répression ancre solidement la République dans la France conservatrice : elle a montré qu’elle pouvait contenir les désordres.
- Paris ne fait plus l’histoire du pays, à l’heure du suffrage universel : le mouvement n’a pratiquement pas été imité en province.
Il faut attendre 1880 pour qu'une amnistie complète soit adoptée, permettant la libération de plus de 500 prisonniers, dont Louise Michel.
Très vite, la Commune devient une référence incontournable pour la gauche. Elle possède ses "lieux de mémoire", comme le mur des Fédérés, au Père Lachaise, devant lequel chaque 1er mai, les organisations de gauche se retrouvent à partr de 1880.



Texte de Jean-Roger Caussimon, musique de Philippe Sarde

Sans doute, mon amour, on n’a pas eu de chance
Il y avait la guerre
Et nous avions vingt ans
L’hiver de 70 fut hiver de souffrance
Et pire est la misère
En ce nouveau printemps...
Les lilas vont fleurir les hauteurs de Belleville
Les versants de la Butte
Et le Bois de Meudon...
Nous irons les cueillir en des temps plus faciles...

La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons...

Nous avons entendu la voix des camarades :
« Les Versaillais infâmes
Approchent de Paris...
Tu m’as dit : « Avec toi, je vais aux barricades
La place d’une femme
Est près de son mari... »
Quand le premier de nous est tombé sur les pierres
En dernière culbute
Une balle en plein front
Sur lui, tu t’es penchée pour fermer ses paupières...

La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons...

Ouvriers, paysans, unissons nos colères
Malheur à qui nous vole
En nous avilissant...
Nous voulons le respect et de justes salaires
Et le seuil des écoles
Ouvert à nos enfants.
Nos parents ne savaient ni lire ni écrire
On les traitait de brutes
Ils acceptaient l’affront...
L’Égalité, la vraie, est à qui la désire...

La Commune est en lutte
Et demain, nous vaincrons...

Les valets des tyrans étaient en plus grand nombre
Il a fallu nous rendre
On va nous fusiller
Mais notre cri d’espoir qui va jaillir de l’ombre
Le monde va l’entendre
Et ne plus l’oublier...
Soldats, obéissez aux ordres de vos maîtres
Que l’on nous exécute
En nous visant au cœur
De notre sang versé,
la Liberté va naître...

La Commune est en lutte
Et nous sommes vainqueurs...

* Sources:
- Jacques Rougerie:"Paris insurgé, La Commune de 1871", Gallimard, 1995.

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